Je voudrais les bercer
Il y a des images qui nous inspirent de la poésie. Cette photo prise à Manhattan, New York, m’a inspiré ce poème :
Furent des femmes et des hommes
autrefois souverains
confiants des lendemains
ces êtres maintenant
cassables et menacés
que l’on nomme
les vieilles personnes
Si touchants dans leur timidité
d’exister
et d’exiger
si émouvants dans leur inquiétude
d’être nuisible
et risible
Je voudrais les bercer
pour leur rappeler
qu’ils ont été des bébés
Se laisser négliger
sans embrasser la solitude
tout en restant visible
ne partager que la vieillesse
avec leurs pairs retraités
isolés du cœur des cités
loin des hardiesses
devient prouesse
Leurs silhouettes se flétrissent
leurs cœurs battant
où il n’y a pas de jadis
comme les contours des villes
qui vieillissent
où des ghettos pour les vieux banlieusards
fleurissent
et leurs noyaux vibrant
où il n’y a que le maintenant
les heureux hasards
et la félicité
qu’on attend
fébriles et volubiles
Mais vieillir dans les métropoles
plutôt que dans ses marges
c’est choisir
un dernier envol
au lieu d’échouer
sur un rivage
et de mourir
d’un ennui atroce
si souvent repoussé
car trop féroce
De leurs dos arrondis
leurs ombres recroquevillées
lévitent
s’étirant vers les toits
des édifices
à la recherche du ciel
bleu
pour effacer leurs idées
noires
qui hérissent leurs cheveux
argentés
et les remplissent
de désespoir
Je voudrais les bercer
pour qu’ils n’aient plus froid
S’inquiètent de leurs jambes endolories
quand trop de pas incertains
parcourus sur le bitume
où nul ne les salue
et évitent
leurs sombres destinées
laissant derrière
de l’amertume
et les prières
des âmes résolues
qui ne peuvent voir les cimes des gratte-ciels
leurs cous fragiles s’arrêtant à mi-chemin
entre le sol et l’horizon
entre l’espoir et la résignation
qu’on leur tende la main
Je voudrais les serrer dans mes bras
pour les remercier
d’avoir pavé la voie
Comme de petites constellations
qui bientôt s’éteindront
les parcs citadins
accueillent des chapelets
de vétérans
entiers ou incomplets
autrefois des étoiles filantes
et une dame âgée
et des pigeons
ses seuls compagnons
à qui elle donne des graines
enfouies dans les plis sinueux
de sa main contrastante
avec la vie urbaine
et pétillante
qui avale les silences des anciens
avec ses bruits saccadés
et ses symphonies ratées
mais ils sont heureux
de voir la jeunesse
sur leur chemin
des bambins
un chat, un chien
et ça leur fait un grand bien
oublient la tristesse
qu’ils ont déjà été lestes
Je voudrais les amuser
pour leur rappeler
qu’ils ont été des gamins
Dans l’absence tenace de leurs chers
ils fredonnent des chansons d’amour
se souviennent de leurs jours
sombres ou lumineux
à l’heure de leurs glorieuses chairs
visages à présent creusés par les rides
craintes des jeunes avides
de beauté
mais ils sont heureux
d’admirer la jeunesse
pour ne pas voir que du vieux monde
avec leurs yeux
que tant de larmes inondent
quand ils se livrent silencieux
à la panacée
Puis un jour ils meurent libérés
des instants funestes
conquis par le céleste
Je voudrais les bercer
pour l’éternité
pour leur rappeler
qu’ils ont été aimés